11 Juil Le Circuit de l’Abbaye du point de vue d’un marcheur et sociologue
Nous vous partageons le témoignage de monsieur Michel O’Neill. Ce texte est tiré de sa page Facebook, Le Serein Pèlerin, avec l’autorisation de l’auteur.
Quelques mots à propos de mon expérience sur le Circuit de l’Abbaye, du double point de vue du marcheur et du sociologue. Comme je suis un des premiers à le parcourir depuis son ouverture officielle le 5 juin dernier, j’y ai mis pas mal de détails afin de faciliter la vie à celles et ceux qui m’y suivront. Alors désolé à l’avance pour la longueur de cette publication !
J’ai parcouru les 152 km (164,4 km en fait selon mon podomètre) en sept jours, entre le 20 et le 26 juin, soit une moyenne de 23,5km par jour. Et j’ai adoré mon expérience. Il faut dire que la météo a coopéré : seulement quatre heures de pluie en sept jours, avec quelques journées pas mal chaudes toutefois. Et tant la nature que la culture particulière de la région des Cantons-de-l’Est ont tout pour charmer le marcheur.
Soulignons d’abord qu’il s’agit d’un chemin où l’on s’organise de manière autonome, une espèce encore trop rare (10 sur les 26 chemins québécois de marche pèlerine en place à l’été 2018) attendu mes goûts de marcheur solitaire et indépendant. Cela signifie qu’à partir des informations disponibles sur le site internet fort bien fait du Circuit (www.circuitdelabbaye.com), on décide de tout : la durée, la longueur des étapes, le moment où l’on marche, les hébergements, les points de ravitaillement, les lieux de départ et d’arrivée, etc. L’organisation nous propose une inscription à 40$ qui inclut un droit de stationnement sur le terrain de la fameuse Abbaye de Saint-Benoît-du-Lac (point de départ et d’arrivée suggéré), une carte papier et quelques autres éléments utiles à la réalisation du projet; mais on peut aussi y marcher sans s’inscrire.
Quelques mots sur le tracé d’abord. On est dans les montagnes de l’Estrie et le parcours est correctement annoncé comme intermédiaire. On monte et on descend souvent, ce qui personnellement me plaît davantage que les parcours de marche pèlerine sans dénivelé qu’on retrouve beaucoup au Québec, où ils épousent fréquemment les vallées de nos grands cours d’eau ou les pistes cyclables sur d’anciennes emprises de chemins de fer. Cela requiert donc une bonne forme sans qu’elle soit nécessairement athlétique, car on marche sur des routes rurales, pas sur des sentiers en grande nature. Le parcours se déroule de part et d’autre de la tranquille rivière Missisquoi Nord, qui relie les huit municipalités à l’origine de l’aventure à travers leur organisme Action Memphré-Ouest. On la côtoie de sa source au lac d’Argent à Eastman à presque son embouchure, dans la rivière Missisquoi à Highwater.
La marche se déroule majoritairement sur de petits rangs en gravier très paisibles, avec quelques passages de transition sur des routes plus achalandées où les accotements gravelés sont le plus souvent larges et praticables. Très peu de marche sur asphalte durant ce parcours donc. Fait à souligner, le gravier utilisé dans ce secteur du Québec est assez particulier: c’est du concassé gris qui une fois tapée devient presque aussi dur que de l’asphalte; cela diminue de manière significative la poussière en comparaison avec les chemins beiges de gravelle auxquels on est habitués. Les outils pour se repérer sur le parcours sont nombreux : pas de carnet de pèlerin détaillant le trajet, mais des balises sur le terrain, une carte papier et plusieurs types de cartes électroniques du tracé, téléchargeables sur un téléphone intelligent. C’est donc un chemin où il est très facile de se repérer.
Côté hébergement maintenant, il y a une variété de possibles : des campings, des hôtels et motels, des gîtes et B&B, des spas et centres de santé… Certains secteurs sont très bien pourvus alors que d’autres le sont beaucoup moins. Même chose pour le ravitaillement : certains villages ont plusieurs restaurants de même que des épiceries ou dépanneurs très bien achalandés et ouverts 7 jours sur 7 alors que dans d’autres, il n’y a à peu près rien. Côté toilettes publiques, tables à pique-nique et bancs, les villages sont en général très bien pourvus.
Un des plaisirs des parcours autonomes est de créer puis d’assembler le puzzle d’où on dormira, mangera et se ravitaillera. Les outils proposés sur le site web du Circuit sont très détaillés et permettent de le faire sans problème. De mon côté, j’ai choisi de marcher seul et de ne pas camper afin de ne pas avoir à traîner tout le matériel de camping. Mes 8 nuitées, incluant celle de la veille du départ et du jour de l’arrivée, se sont déroulées en B&B trois fois, en motel deux fois, en camping deux fois (dans mon Westfalia laissé sur place au très accommodant Camping du Havre des Îles) et à l’Abbaye une fois.
En incluant le 40$ de frais d’inscription et le coût de l’essence à compter de Québec, mon périple de 9 jours dont 7 de marche m’a coûté en tout et partout 1050$, soit environ 115$ par jour. Exactement le même voyage si nous avions été deux à nous partager les frais de logement et l’essence m’aurait coûté environ 70$ par jour. C’est plus que sur certains chemins québécois fonctionnant sur inscription où, en dormant dans des centres communautaires ou sous-sols d’église on arrive à s’en tirer pour 40$ par jour; et moins que d’autres à 170$ par jour où tout est inclus avec les trois repas quotidiens, une chambre confortable et le matériel de toilette. Il est certain que de ne pas encore avoir au Québec d’hébergement à peu de frais comme dans les gîtes de randonneurs ou les auberges de pèlerins en Europe rend l’expérience plus coûteuse au quotidien; mais on n’a pas à payer de billet d’avion, on est en dollars plutôt qu’en euros et on contribue à faire rouler l’économie d’ici dans des zones souvent moins vitalisées tout en découvrant des lieux, des paysages et des gens tout à fait fantastiques. C’est ce que j’ai vécu sur le Circuit de l’Abbaye.
Quelques bémols pour terminer. C’est un circuit court; je me suis rendu compte que je suis habitué à partir pour de plus longues durées quand je fais ce type de randonnée et que j’en aurais pris encore quelques jours de plus dans ce superbe environnement. Ce n’est pas la faute au Circuit, c’est la mienne ! Le fait que le chemin soit balisé d’un ou l’autre des côtés de la route est un peu inusité, mais on s’y fait rapidement et les très rares problèmes de balisage ont été signalés à l’organisation et devraient être réglés sous peu; avec les autres outils de repérage, ce ne fut toutefois pas pour moi un vrai enjeu. Faire en camping l’ensemble du circuit est pour l’instant impossible, à moins pour une couple de nuits de bénéficier de l’accueil de quelqu’un sur son terrain ou de squatter dans le bois quelque part. De même, les disponibilités en hébergement très limitées dans certains secteurs obligent à quelques contorsions pour planifier son périple. Attendu le très fort attrait pour le Circuit observé depuis son ouverture il y a moins d’un mois, cela fera sans doute de l’ajustement de l’offre d’hébergement à la demande un enjeu réel au cours du reste de l’été, enjeu qui aura besoin du moyen terme pour se solutionner. Qui plus est, la clientèle des randonneurs de longue durée en milieu habité est nouvelle, au Québec en général et dans la région aussi; on vit donc une période d’adaptation entre hébergeurs et marcheurs qui prendra sans doute aussi quelque temps à s’ajuster. L’ajout progressif de bancs et d’endroits où il sera possible de faire l’équilibre des fluides sera aussi apprécié sur les quelques tronçons où l’accès à des toilettes et à de l’eau potable est moins aisé.
Rien de tout cela ne fut toutefois suffisant pour assombrir une expérience vraiment agréable dans un environnement naturel et culturel magnifique.
Texte et photos : Michel O’Neill